Le Musée des Civilisations noires (MCN) de Dakar a accueilli ce jeudi 4 décembre plusieurs acteurs culturels et spécialistes dont l’économiste et penseur sénégalais Felwine Sarr.
Au centre des débats, un panel consacré à la « Restitution et protection des biens culturels » organisé dans le cadre des Rencontres Professionnelles de la première édition du Festival des Arts et de la Culture de l’Afrique de l’Ouest (ECOFEST 2025)
Devant un public dense, l’auteur de Afrotopia a invité à une relecture profonde du musée, de son histoire et de ses fonctions, afin d’accompagner le retour des œuvres africaines dispersées dans les musées occidentaux.
Dès l’ouverture, Felwine Sarr rappelle que la restitution ne peut être abordée comme un simple « transfert d’objets d’un lieu à un autre ». Ce retour, dit-il, « ouvre une problématique plus réelle : celle de la resocialisation des objets, de la signification qu’on leur donne, de l’espace où on les met et de ce que cela implique pour le corps social. »
Pour lui, « comprendre les enjeux contemporains suppose de remonter à l’origine du musée occidental, né au XIXᵉ siècle comme lieu d’affirmation identitaire, chargé de conserver les biens “inaliénables” des nations en formation. »
Or, avec la colonisation, ce modèle a été dévoyé. Il affirme que « l’expansion européenne s’est accompagnée d’une vaste expropriation des biens culturels des peuples colonisés. »
Les musées ethnographiques sont alors devenus, selon M. Sarr, « des musées des autres », abritant des objets dont on a parlé en l’absence même de ceux qui les avaient créés. Ce déplacement s’est doublé d’un processus de « res-signification » : des objets rituels se sont retrouvés transformés en pièces ethnographiques ou en œuvres d’art, perdant au passage une partie de leur champ de significations.
« On les altère, on réduit la portée de ces objets”, regrette-t-il, posant une question centrale : « L’objet est-il devenu un autre ? Peut-on ramener une signification ancienne ou doit-on en construire une nouvelle ? »
La décolonisation du musée, insiste-t-il, « passe par la pluralisation de la parole. » Il cite des expériences nord-américaines où les Premières Nations co-commissarient leurs expositions. Mais au-delà des musées occidentaux, l’enjeu majeur d’après l’économiste sénégalais « se situe en Afrique même : repenser les institutions muséales, leurs écologies, leurs dispositifs de monstration. Le musée importé du modèle colonial n’est pas un cadre neutre.
« Il nous faut réimaginer nos propres régimes de patrimonialisation, et les lieux eux-mêmes », argumente-t-il.
Cela suppose de puiser dans les traditions précoloniales d’exposition royales, rituelles, contextuelles pour inventer des formes adaptées aux sociétés africaines contemporaines.
Felwine Sarr s’arrête aussi sur la notion d’universel, souvent mobilisée par les grands musées comme le Louvre pour légitimer la détention d’œuvres venues d’ailleurs. L’universel, dit-il, est “performé”, proclamé par ceux qui s’en font les détenteurs. À l’inverse, restituer et diversifier les lieux où se disent les cultures permettrait de bâtir un « pluriversalisme », un universel enraciné dans la pluralité des foyers d’énonciation.
« Les objets à Dakar ou à Cotonou sont tout aussi universels qu’à Paris », affirme-t-il.
Pour conclure, il fait l’éloge du Musée des Civilisations noires, “musée non subalterne”, vivant, ouvert aux métamorphoses et à la création. Un modèle propice, selon lui, « pour inventer des institutions capables de redonner sens aux objets retournés et, plus largement, de renouveler le récit que les sociétés africaines produisent sur elles-mêmes. »
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